30. AU FOND DU TROU
A la lueur de leur torche, ils découvrirent du sable au fond du trou, des traces de pas et puis, tout au bout, sur la droite, un meuble métallique qui ressemblait à un distributeur automatique de boissons.
Ange Rinzouli, des trois le meilleur en gymnastique, descendit le premier en se laissant glisser sur une corde-liane qui pendait opportunément sur le côté. Lucrèce Nemrod et Isidore Katzenberg le suivirent.
Ils commencèrent par examiner l’armoire en métal. Il s’agissait bien d’un distributeur automatique, mais il avait été légèrement trafiqué. Un système de touches, chacune porteuse d’un symbole, permettait de délivrer les friandises.
La nourriture convoitée tombait lorsqu’on réalisait la bonne combinaison de symboles sur le clavier.
— Ainsi donc, voilà le dieu des lémuriens, une machine ! s’exclama Isidore Katzenberg.
— Le Pr Adjemian s’était assuré le gardiennage de son sanctuaire en mettant à la disposition des galagos des kilos de chocolats en barre, s’émerveilla Lucrèce Nemrod.
Leur trésor.
Isidore Katzenberg entreprit de manipuler la machine. Un galago descendit par la liane, désireux de vérifier que ces gens n’abîmaient pas leur divinité mécanique.
— Le distributeur ne permet qu’à une espèce un peu intelligente de s’en servir, constata le journaliste. Pour qu’il libère ses friandises, il faut appuyer sur les touches munies de symboles représentant un sujet, un verbe, un complément. Construire une phrase logique en somme, même si les mots sont remplacés par des dessins.
La méthode avait dû faire évoluer les galagos. Seuls les plus malins étaient capables de descendre parler à la machine dispensatrice de bienfaits et d’en rapporter ses dons. Le Pr Adjemian avait œuvré pour que la sélection naturelle se fasse non plus par la force et l’agressivité mais par la capacité de langage. Leur cerveau s’en était trouvé différemment conçu.
Pas étonnant que ces animaux aient accueilli leur petite expédition par une avalanche de fruits durs. Les galagos avaient maintenant suffisamment évolué pour être capables d’élaborer de bonnes stratégies de défense en cas d’intrusion sur leur territoire.
— Le Pr Adjemian a déposé dans ce trou une « machine à faire évoluer plus rapidement une espèce animale proche », résuma Lucrèce Nemrod.
— « Au commencement était le Verbe », déclama Isidore Katzenberg, reprenant la première phrase de la Bible. Nous avons là une machine à apprendre le verbe aux animaux.
Le mécanisme étant similaire à celui que les reporters avaient vu chez le Dr Van Lisbeth, ils en déduisirent que soit le paléontologue l’avait récupéré chez elle, soit la spécialiste des greffes avait été sa complice. De toute façon, la chirurgienne ne pouvait pas ne pas être au courant de la présence au fond de la jungle d’une machine dont elle avait elle-même dressé les plans.
Ange Rinzouli confirma. Lorsque Sophie Eluant avait cessé de subventionner les travaux du Pr Adjemian, la clinique du Dr Van Lisbeth avait pris le relais.
— Quel intérêt peut avoir un établissement spécialisé dans les greffes d’organes à financer des recherches sur les origines de l’humanité ? s’interrogea Lucrèce Nemrod.
Près d’eux, des galagos montaient et descendaient sur la liane comme sur une autoroute verticale. En bas, celui qui était leur chef se plaça devant la machine et composa des phrases logiques sur le clavier comme pour leur prouver qu’il savait parler au dieu mécanique :
« Singe veut nourriture. » « Soleil brille ciel. » « Banane manger bon. »
Les trois humains éclairèrent le reste de la caverne. L’ensemble formait une pièce sphérique, probablement creusée par le ruissellement des eaux de pluie. En géologie, on appelait cela un karst. Les parois étaient lisses avec un plafond d’environ cinq mètres de haut terminé par le goulet d’à peu près un mètre cinquante de large qu’ils avaient emprunté pour descendre.
A droite, à une hauteur de trois mètres, de l’eau s’écoulait sporadiquement d’une anfractuosité dans la roche. A gauche, dans un creux, ils aperçurent une boîte. Ils s’en saisirent et l’ouvrirent. Elle contenait une lettre et une autre boîte, plus petite celle-là.
Ils commencèrent par lire la lettre et reçurent le choc de leur vie.